MALDIVES, Mai 2013
Depuis plusieurs jours nous sommes à Guraidhoo, petite île entourée de « reef » faisant partie de l’atoll « South Male Atoll », située à environ 30 km au sud de Male. Les conditions météo sont mauvaises. Le vent est d’Ouest entre 20 et 25 nœuds avec parfois des pointes jusqu’à 40 nœuds dans les rafales. Heureusement le « reef » protège bien le mouillage, et la grosse houle ne rentre pas. Les prévisions annoncent des vents forts pour les jours à venir. Le fond est à 26 m, et nous avons mis nos 80 m de chaîne (de diamètre 12 mm). J’ai plongé pour bloquer l’ancre contre un rocher et mettre un orin. Nous sommes en sécurité, et l’ancre ne bougera pas quelle que soit la force du vent. Le bateau est retenu à la chaîne par un crochet auquel est attachée une corde de fort diamètre qui sert d’amortisseur. Le reste de la chaîne passe sur le guindeau dont le barbotin est bloqué par un doigt qui l’empêche de libérer la chaîne (qui elle n’est pas sous tension). La fin de la chaîne est attachée par un bout solide dans la baille de mouillage. A proximité de Lady Annabelle sont au mouillage plusieurs « Safari boat », des bateaux qui amènent leurs clients pour des séjours d’une ou deux semaines à travers les atolls des Maldives en générale pour la plongée. Ces bateaux sont grands (entre 20 et 30 mètres). Chacun est accompagné par un bateau plus petit, et à faible tirant d’eau qui sert à amener les clients sur les lieux de plongée. Ce bateau lorsqu’il n’est pas utilisé, est attaché au « Safari boat », il ne mouille pas.
Le mercredi 15 mai vers 15h, nous allons à terre pour faire quelques achats et rencontrer Hasan, avec qui j’ai fait une plongée le matin. Pendant que nous sommes à terre, le ciel s’obscurcit terriblement. Le vent se met à souffler très violemment. Il y a eu une rafale à 89 nœuds nous dira le lendemain un « Safari boat ». Nous voyons Lady Annabelle partir tout d’un coup à la dérive et heurter rapidement le « reef » qui est sous le vent. Je laisse Ellen à terre et essaie de rejoindre malgré les très fortes rafales le bateau qui entretemps s’est couché sur le « reef » (photo). Le capitaine de l’un des bateaux de plongée et deux membres de son équipage, tous maldiviens, sont venus immédiatement proposer leur aide. Ils m’expliquent que les « Safaris boat » ne peuvent quitter leur mouillage pour venir m’aider. Les conditions sont trop mauvaises. Ils ne peuvent pas prendre de risque avec leurs clients à bord. Grâce à leur annexe puissante nous arrivons à mouiller successivement au vent du bateau à l’extérieur du « reef » trois ancres pour empêcher le bateau d’avancer davantage sur le « reef », deux venants de Lady Annabelle, la troisième prêtée par le bateau de plongée. Ils insistent pour amarrer les ancres sur l’arrière du bateau de telle sorte que, si le bateau continue à avancer, c’est le leste qui ouvrira le chemin dans le corail tel le soc d’une charrue. Le safran et l’hélice seront épargnés.
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15/05 Lady Annabelle
couché sur le reef aprés avoir quité son mouillage
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16/05 Lady Annabelle
debout sur sa quille à marée basse
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Entretemps la marée a monté. Lady Annabelle s’est redressée à la verticale et repose sur sa quille sur le « reef », vent arrière. Heureusement, les chocs lorsque le bateau se soulève sous l’effet des vagues et retombe sur le « reef », ne sont pas trop violents. Deux bateaux de plongée tentent en vain de remorquer Lady Annabelle à l’extérieur du « reef ». Rapidement ils abandonnent car déjà la marée a commencé à baisser. La nuit est tombée. Lady Annabelle repose à la verticale sur sa quille sans heurts toujours vent arrière.
Que s’est-il passé ? Le crochet qui sert à relier l’amortisseur de chaîne à la chaîne, s’est tordu et a libéré celle-ci. Le doigt métallique qui retient le barbotin du guindeau et l’empêche de tourner, s’est cassé. La ligature en bout de chaîne s’est arrachée libérant ainsi le bateau de la chaîne. Le mouillage lui n’a pas bougé.
Je ferme les cloisons étanches du bateau et prends quelques vêtements, l’informatique, nos papiers etc… avant de rejoindre Ellen qui m’attend à terre, et la rassurer. En quittant le bateau je me dis que peut-être cette nuit il sera éventré.....
Ellen a trouvé refuge dans une « guest house ». Les gens sont gentils avec nous et tachent de nous consoler. Je prends une bonne douche et un rapide repas avec l'intention de retourner sur le bateau. Ellen n'a pas de mal à m'en dissuader. Le vent souffle encore a 25-30 nœuds avec un fort clapot. On est à marée basse et beaucoup de patates affleurent. Pour rejoindre le bateau sur le « reef » de nuit dans ces conditions c'est très difficile et dangereux. Au mieux je risque d'endommager l'annexe et le moteur, au pire je peux me blesser sérieusement sur le corail. Enfin la marée haute de 4h00 du matin (le 16) est une petite marée haute et rien ne pourra être tenté. La vraie marée haute est à 16h30 le 16. C’est à ce moment que nous devons à tout prix intervenir. En effet nous sommes en période de diminution des coefficients. Cela veut dire que le niveau de la marée haute baisse chaque jour. Si nous ne réussissons pas à retirer Lady Annabelle du « reef » le 16 nous devrons attendre 10 jours pour retrouver des conditions identiques, 10 jours pendant lesquelles Lady Annabelle risque de se coucher et perforer sa coque.
Nous envoyons un mail à notre assureur pour l’avertir de la situation et l’informer que nous prenons l’initiative de commander un remorqueur pour demain 16h.
Nous passons une nuit agitée, peuplée de cauchemars. Heureusement, le jour se lève et nous permet dans l’action de ne plus trop penser. Nous allons sur le bateau. La marée est basse. Le temps est calme. Le bateau repose tranquillement droit sur sa quille (photo). Nous pouvons inventorier les dégâts. Quasiment tous les chocs ont été encaissés par le lest. La partie polyester n’a été que superficiellement endommagée. L’hélice et le safran n’ont pas été touchés.
Ellen retourne à terre avec pour mission de commander à tout prix le remorqueur pour 16h. Heureusement, nous avons à Male un agent qui s’est occupé de toutes nos formalités, et sera notre intermédiaire pour trouver le remorqueur. Après de nombreux échanges téléphoniques et emails, le remorqueur ne se déplacera que s’il reçoit sur son compte en banque l’équivalent de 4000 euros. Ellen parvient à obtenir son intervention contre la promesse d’effectuer le virement le jour même. Ces négociations ont pris beaucoup de temps, et le remorqueur ne sera pas là avant 17-17h30. La marée aura commencé à baisser à partir de 16h30, et la nuit commence à tomber à partir de 18h !
Entretemps, je suis retourné sur le bateau et entreprends de déplacer les blocs de corail qui derrière la quille gêneront le bateau pour retourner en pleine eau.
Dans le village parmi la population qui suit les évènements, un groupe d’une dizaine de personnes s’est formé pour proposer ses services. Il suggère d’attacher des fûts contre la coque sous la ligne de flottaison pour alléger le bateau lorsque la marée sera haute. Je n’y crois pas trop mais au moins on aura tout tenté: les fûts et le remorqueur. Nous arrivons à arrimer solidement 8 fûts de 200 L. Ce travail terminé (vers 14h), il ne reste plus qu’à attendre la marée haute (16h30).
J’en profite avec un plongeur pour détacher l’orin qui est toujours attaché à l’ancre du mouillage de Lady Annabelle, pour l’attacher à la fin de la chaîne, 80 m plus loin. On pourra ainsi, si le bateau arrive à être dégagé du « reef », récupérer le mouillage.
A 16h, tous les hommes qui m’ont aidé, sont à bord. Le vent souffle de l’Ouest entre 15 et 20 nœuds. Au village, les gens sont assemblés pour suivre le sauvetage. Le bateau est presque dans sa ligne de flottaison et commence à se soulever légèrement sous l’effet des vagues. Deux hommes se mettent à l’eau pour suivre les mouvements du bateau. On souque au maximum les 3 ancres. Ceux qui sont dans l’eau poussent des cris de joie, car le bateau a reculé légèrement. Centimètre par centimètre le bateau recule. Vers 16h30 toute l’équipe éclate de joie. Lady Annabelle flotte hors du « reef », toujours retenue par les 3 ancres. On détache les fûts, on récupère les 3 ancres. Il ne reste plus qu’à amarrer le bateau à son mouillage, qui se trouve au bout de l’orin mis en place plus tôt dans l’après-midi.
A ce moment (17h15), le remorqueur arrive. Nous n’avons plus besoin de ses services, et nous le décommandons avec la promesse de lui payer la somme convenue pour son déplacement.
Lady Annabelle est en sécurité, amarrée à son mouillage. Toute l’équipe quitte le bateau. Ellen revient à bord. Nous sommes très fatigués, mais terriblement heureux. Le lendemain, vendredi, je plonge pour une inspection minutieuse de la coque. Effectivement, seul le lest en fonte a réellement souffert. La partie polyester n’a été rayée que superficiellement. La liaison du lest et de la quille n’a pas bougée. L’hélice et le safran n’ont pas été touchés.
Personne n’a été blessé, et le bateau a été sauvé.
Malgré cette mésaventure, nous gardons un souvenir inoubliable des Maldives.
L'élan de solidarité des locaux nous a profondément touchés.